Mes coups de coeur, en quelques mots.

De la même matière que les rêves


Juin 2007. Une petite tâche blanche en forme de croissant de lune, sur une robe couleur chocolat. Ce poulain, né un an plus tôt, s'appellera Calling the Moon.

Le début d'une histoire.

Mes rêves d'enfant étaient bercés par l'Etalon Noir. Moi aussi, un jour, je posséderais un cheval qui serait acclamé sur les hippodromes. Rapide comme le vent, puissant et majestueux, il gagnerait toutes les courses contre les meilleurs chevaux, laissant une trace indélébile dans l'Histoire des courses.

Près de 30 ans plus tard, ce cheval n'est ni noir ni le plus grand crack ayant foulé la piste d'un hippodrome, mais mon rêve a fait son chemin dans la réalité. Je ne remercierais jamais assez sa naisseuse, mon amie Emmanuelle, éleveuse dans un petit coin de Mayenne, de m'avoir offert ce cadeau, un petit morceau de mon rêve, et à Ludovic de m'avoir suivie dans cette aventure.

Course après course, le jeune cheval fait ses preuves. Pas mauvais, mais pas un champion non plus, il gagne quand même son avoine, sur les hippodromes de province, mais également sur quelques unes des belles pistes françaises.

Puis l'aventure prend un autre tournant, alors que Calling the Moon gagne en maturité. Le petit cheval montre qu'il a la pointure des bonnes courses à handicap de la région parisienne.

Le rêve est à portée de mains : théâtre du Prix de l'Arc de Triomphe, Longchamp accueille enfin ce petit pur-sang, né au pays des trotteurs, issu ni d'un crack, ni d'une poulinière reconnue. Deux tentatives, sans passer le poteau en tête dans ce lieu prestigieux, une deuxième place battu sur le fil, et puis cette troisième course dans le Temple du galop. Monté au millimètre par Flavien Prat, son jeune et talentueux jockey, Calling the Moon résiste à toutes les attaques et passe le poteau une bonne encolure devant les autres. Il tient sa troisième victoire ! Sur un hippodrome chargé d'Histoire, qui a sacré tant de champions ! Qui aurait pu penser qu'il nous emmènerait jusque là, et donnerait vie de la plus belle des manières à cette aventure partagée par trois amis, liés par ce petit cheval qui se fait une place sur la piste, et dans notre histoire.

Ce n'est pas un champion, mais les émotions qu'il donne à ceux qui l'aiment pour ce qu'il est, ceux qui ont commencé à rêver alors qu'à peine âgé de quelques heures, il tenait à peine sur ses jambes, ceux qui l'ont vu grandir, ceux qui ont cru en lui dès ses premiers galops... Ces émotions là sont inestimables.

J'en avais rêvé, Calling the Moon le fait.

Dans la réalité, Black l'Etalon Noir n'existe pas. Dans la réalité, notre petit "champion" ne s'appelle pas Sea the Stars, mais après tout, les étoiles ne sont pas si loin de la lune...

Il s'appelait Miflosac de Blagny


Il est né une douce soirée du mois de mai 2000. Un parmi tant d'autres trotteurs, nés cette année là, destinés à la course. Certains ne verront jamais un hippodrome. L'un d'entre eux gagnera le Prix d'Amérique. Entre ces anonymes et Meaulnes du Corta, il y avait Miflosac de Blagny.

Son histoire remonte à un mercredi de l'hiver 1986-1987. Mon père, passionné de trotteurs, a voulu se faire plaisir en acquérant une jument de tout juste 4 ans, sortie de l'entraînement faute de qualités suffisantes pour fouler une piste. Mais, sur la foi de ses origines, elle pouvait faire une honnête poulinière. Fille du grand étalon Fakir du Vivier, la belle alezane Rani de Hoc a donc rejoint une petite écurie près de Mieuxcé dans l'Orne, où, pleine de Beau Ludois L, elle a commencé sa nouvelle vie.

Asteena fut son premier produit. Née en 1988, l'année des A, baie, sans blanc, la pouliche a été nommée en assemblant deux parties des prénoms des enfants de son éleveur, mon frère et moi.

De nombreux rêves ont entouré cette petite pouliche. Délicate comme sa mère, elle y a mis un terme rapidement. Pas qualifiée, vendue avec sa mère et les deux sœurs nées après elle, elle a très tôt commencé une carrière de poulinière.

Sa production a été peu chanceuse. S'ils montraient un peu de qualité, ses produits étaient difficiles, un trait de caractère hérité de sa lignée maternelle, ou étaient particulièrement "poissards". L'un d'eux, Lestat de Blagny, né en 1999, a montré des moyens, mais sept disqualifications en autant de sorties lui ont valu d'être expatrié en Belgique.

Puis, est né Miflosac de Blagny.

Fils de Dorenzo alezan et caractériel, il a débuté sa carrière sous l'entraînement de Daniel Cliquet à côté de Caen. Deux victoires et plusieurs places ont couronné cette première partie de carrière, avec en prime une participation à une course sur l'hippodrome de Vincennes, le Temple du Trot ! Une sorte de consécration pour ce petit cheval de province, le meilleur de la descendance de la belle Rani de Hoc.

Puis, il a été vendu dans le Sud, rejoignant les boxes de Xavier Thévenet, puis ceux d'Emmanuel Devenne. Il faisait toujours de son mieux, même si les résultats n'étaient pas toujours au rendez-vous. Il a quand même ajouté une victoire et quelques places à son palmarès.

Il a terminé sa carrière au mois de mars 2008, totalisant 3 victoires et 10 places en 62 courses, et un peu plus de 31.000 euros de gains, avec un record de 1'16"7. Entre 2008 et 2010, Miflosac de Blagny n'a pas couru. Réformé ? Blessé ? Un trou de deux ans, à l'issue duquel il a été déclaré mort, en juin 2010...

Je suis heureuse d'avoir pu le voir, un hiver il y a quelques années, et lui offrir une pomme. Sa ressemblance avec ma Rani m'avait frappée.

Bon vent parmi les étoiles, Bonhomme... Puisses-tu veiller sur ta maman, la belle et douce Asteena, toujours vaillante, heureuse retraitée chez ton éleveur.

Järvsöfaks : le champion qui venait du froid


Il existe dans les pays nordiques une race de trotteurs particulière : le sang froid.

Historiquement, le trotteur sang froid descend du Døle-Gudbrandsdal. Petit cheval de trait lourd du nord-est de la Norvège, le Døle-Gudbrandsdal ressemble beaucoup au poney Dales britannique. Cette race de chevaux nordique descendrait de la race Fréderiksborg et de chevaux locaux au 18è siècle. Devenu bon trotteur par croisements notamment avec un étalon Norfolk ; cette variété a été développée sous le nom de Trotteur Døle, Trotteur Norvégien ou Trotteur sang froid. Il englobe des variétés comme le Gubbrandsdal (foncé) et l'Østerdal (noir). Les deux types de Døle (le trait lourd et le trotteur) ont actuellement tendance à se mélanger.

Järvsöfaks est né le 23 juin 1994, de l'union de Trollfaks et Järvsö Anna. Magnifique cheval noir, extrêmement trapu, toisant 1m56 au garrot, Järvsöfaks est une véritable star dans son pays : invaincu en 2002 et en 2003 il a battu le record de victoires consécutives détenu par Ina Scot, en alignant 33 courses sans défaite, avant d'être battu par Spikeld, alors détenteur du record du monde (pour un trotteur sang-froid) en 1'18''6.

Début août 2004, Järvsöfaks a contracté la maladie dite " Baron Gruff ", du nom d'un trotteur suédois mort d'une maladie inconnue en 1969. Caractérisée par des coliques aigües, la maladie consiste en la rupture de la barrière intestinale suite à la destruction de la muqueuse, et peut être rapidement mortelle si elle n'est pas correctement soignée. Järvsöfaks a failli mourir mais la race est robuste ; quelques jours lui ont suffit pour s'alimenter de nouveau seul et vaincre la maladie.

Depuis, Järvsöfaks a continué d'aligner les succès, 42 d'affilée en mai 2005, faisant de lui le recordhorse mondial du nombre de victoires consécutives sans défaite. Sans une malheureuse deuxième place au début de l'année 2003, interrompant une série de 33 succès consécutifs, il aurait aligné 75 victoires d'affilée. Vous avez bien lu : 75 victoires sur 76 sorties ! En mai 2005, cette belle série s'est malheureusement interrompue en Norvège. Battu mais pas déchu, le Prince des Trotteurs Sang Froid a remis les pendules à l'heure dès sa sortie suivante, le jour de l'Elitloppet à Solvalla, sous les ovations de la foule.

Le 12 juillet 2005, Järvsöfaks est devenu le trotteur sang froid le plus rapide du monde. En piste chez lui, à Gävle en Suède, il a trotté le kilomètre en 1'17''9, effaçant des tablettes les 1'18''6 de Spikeld.

Effectuant la monte depuis plusieurs années, parallèlement à sa carrière de course, Järvsöfaks a engendré plusieurs bons chevaux comme Järvsöviking, Röste Bo, Fakse, Akre Lurifax, Faksen Jr, Hallsta Lotus, Sundbo Kravall, Stamping... Il arrive même souvent qu'il soit opposé à ses propres rejetons en course !

2009 fut son jubilee. Agé de 15 ans, l'âge limite pour faire courir un cheval dans les pays scandinaves, Järvsöfaks a fait de cette ultime année de compétition l'aboutissement de sa quête du Graal : la barre symbolique des 200 succès. Pour que son empreinte sur l'Histoire des courses soit si profonde que l'éternité ne suffise pas à la combler. Un Graal qu'il a atteint le 6 décembre 2009 : sur l'hippodrome d'Umåker en Suède,  Järvsöfaks est entré dans la légende en remportant sa 200ème victoire, devant deux de ses fils.

Le 28 décembre 2009 à Romme, lors de sa dernière course, Järvsöfaks est entré seul sur la piste plongée dans l'obscurité, pour un tour d'honneur, enveloppé par la lumière d'un projecteur. Muni d'une plaque symbolique portant le numéro 200, il s'est imposé pour la dernière fois de sa carrière, encore une fois devant un de ses fils. A l'issue de la course, son sulky a été retiré, et, l'encolure ceinte d'une couronne de fleurs, il est rentré symboliquement aux écuries.

Désormais retiré de la compétition, Järvsöfaks totalise 201 victoires en 234 courses, 16 places de deuxième et 4 places de troisième, pour 21.288.570 couronnes suédoises (soit 2.247.873 euros) de gains. Parmi ses plus belles victoires, on peut citer l'Elitkampen (2005-2006), le Landskampen (cinq fois), le Norska Derby, le Tapiolan Erkon Pokaali... Ce petit cheval noir est tout simplement hors normes. Au cours de sa carrière, tout le peuple suédois le considérait comme un héros : pour preuve, il suffisait de le regarder courir et écouter la foule.

Järvsöfaks a étendu son règne, non pas sur les trotteurs sang froid, ni sur les trotteurs, mais sur les chevaux de course.

Ourasi : la Légende du Trot


Les autres trottaient, lui s'envolait.

Né le 7 avril 1980, Ourasi est considéré par beaucoup comme le meilleur trotteur de tous les temps.

Devenu le premier cheval médiatique de l'histoire, Ourasi, élevé par Raoul Ostheimer aux haras de Saint-Georges s'est longtemps prélassé dans sa petite enfance. Gâté, cabochard, paresseux et préférant se goinfrer de pommes - son pêché mignon - plutôt que de s'appliquer entre les brancards, il donna longtemps l'impression d'être un cheval quelconque.

Lors de ses débuts à Caen en 1982, pataud et distrait, il sema une belle panique dans le peloton de jeunes chevaux avant de terminer dans le lointain. Un mois plus tard, pour ses débuts à Vincennes, dans une bonne épreuve réservée aux deux ans, il s'emmêla encore les paturons au départ avant de terminer comme une balle.

Placé ensuite chez Jean-René Gougeon, le "Pape" de Vincennes, c'est là, à Moissy-Cramayel, aux portes de Melun, qu'Ourasi a appris son métier. Pendant sa glorieuse époque, Ourasi était un guerrier, il passait ses colères sur son lad qu'il a bien souvent maltraité, impatient et énervé par les curieux qui l'entouraient de trop près aux écuries avant les courses... Son vétérinaire, son maréchal ferrant, même son entraîneur, s'en méfiaient, rapide qu'il était à attraper un bras, ou laisser la trace de ses dents sur une épaule...

Détestant par-dessus tout la promiscuité des autres chevaux qu'il méprisait de toute sa hauteur, Ourasi se contentait toujours du minimum lors des séances de travail qui lui étaient imposées. Un dilettantisme dont il ne s'est jamais débarrassé mais qui constitue peut-être la source essentielle de son extraordinaire santé morale.

Sous sa robe alezan foncé, derrière la petite étoile blanche plantée au milieu de son chanfrein, Ourasi a donné une dimension inégalée aux courses de trot. C'est apparemment sans jamais forcer son talent qu'il a enthousiasmé les foules entre 1983 et 1990, et a terminé sa carrière le dernier dimanche de janvier 1990 par une éclatante victoire dans le Prix d'Amérique, son quatrième, un record ! renforçant ainsi sa place dans le panthéon du trot où se côtoient ceux qui dominèrent leur époque, les Uranie, Gélinotte, Ozo, Roquépine, Une de Mai, Bellino II, Idéal du Gazeau ou Lurabo.

Sitôt son dernier Prix d'Amérique couru, Ourasi est entré au haras liste pleine : une centaine de juments issues de l'élevage français, auxquelles sont venues d'ajouter une trentaine d'étrangères : suédoises, finlandaises, norvégiennes ou américaines. Ourasi n'y a malheureusement pas connu le succès escompté, préférant la chasse aux hirondelles dans son pré à son devoir d'étalon... Il a engendré 38 poulains en tout, dont le meilleur, Emir des Fresneaux, s'est hissé au niveau semi-classique sous la selle et est aujourd'hui étalon.

Les années ont passé... Petite visite au Roi Ourasi, là bas, dans sa retraite du Calvados. Malgré la bosse qui marque son chanfrein, Ourasi reste impressionnant. Rien ne laisse deviner son âge respectable : les poils blancs sont certes plus nombreux sur le cuivre de sa robe alezan et le dos un peu creusé, mais il a gardé des membres solides, exempts des douleurs dues à l'âge qui frappent habituellement les vieux chevaux, son cœur est toujours vaillant, et ses foulées ne laissent pas trace du temps qui passe.

Réputé méchant voire dangereux au début de sa carrière d'étalon, il a semble t'il retrouvé la paix dans ce haras normand, où il partage parfois son pré avec une vache et son veau. Là, dans son pré, oublié de ceux qui ont voulu profiter de sa carrière d'étalon pour s'enrichir, enfin en paix, Ourasi est redevenu un cheval comme les autres. Mais avec dans le regard quelque chose de différent, quelque chose d'impénétrable, le souvenir de ses exploits, de la cupidité des hommes, un regard ambré où se reflètent désormais la quiétude du temps qui passe et l'adoration de ses admirateurs...

En le regardant vaquer nonchalamment à ses occupations comme un cheval bien dans sa tête, brouter, se rouler, jauger ses visiteurs sans daigner s'approcher, puis décider que la séance photos avait assez duré, on comprend comment ce cheval a su se préserver toute sa vie : Ourasi ne fait que ce qu'il a décidé.

A Gruchy, Ourasi profite tranquillement de la vie… Il l'a bien mérité.

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